Plus d’un siècle et demi d’histoire …

De nombreux détails, de nombreuses anecdotes rendent cette histoire ici abrégée beaucoup plus vivante. Je continue à la nourrir, au fil des rencontres avec ses témoins, au gré des lectures aussi, dans l’espoir de pouvoir en écrire un jour un bien beau récit. Si vous souhaitez partager un vieux souvenir de la ligne 130A, je serai toujours à votre écoute… autour d’un café, d’une bière, d’un verre de bon vin. C’est moi qui régale !

Duncan R. Smith, octobre 2019, duncan@navetteurs.be

L’histoire de la ligne 130A s’inscrit évidemment dans celle, beaucoup plus large, des chemins de fer de Belgique. Ce qui suit en est un abrégé, dans le but de permettre à celles et ceux que l’histoire n’intéresse pas vraiment, d’en saisir l’essentiel et de comprendre la situation dans laquelle la ligne se trouve aujourd’hui.

Allons-y.

La Belgique, tout jeune état, fut le premier pays d’Europe continentale à inaugurer, en 1835, une ligne de chemin de fer, qui reliait Bruxelles à Malines. L’Etat, convaincu de la richesse économique que pouvait apporter ce nouveau mode de transport, ordonna la construction de plusieurs autres lignes dont la première liaison avec la France, via Braine-le-Comte, Mons et Quiévrain, fut inaugurée en 1842. L’année suivante, une autre ligne permit de relier Braine-le-Comte à Charleroi (via Luttre) et Namur.

Mais l’Etat n’avait pas les moyens de développer un réseau reliant tous les coins du pays. Alors il concéda à des sociétés privées le droit de construire de nouvelles lignes, et de tirer bénéfice de leur exploitation. Parmi elles s’était constituée une « Société anonyme du chemin de fer de Charleroy à la frontière de France », qui entama, dès 1845, la construction de la ligne remontant le cours de la Haute Sambre.

C’est le 11 octobre 1852 que circula le premier train sur la ligne, rompant de ce fait le monopole du transport fluvial dans l’évacuation des produits de l’industrie locale.

Mais à la même période, en France, l’ambitieuse Compagnie du chemin de fer du Nord posait les derniers rails d’un tracé reliant Paris à… Erquelinnes. Son but n’était autre que de raccorder, à terme, la capitale française à Cologne et donc le Rhin et ses industries prospères. Une Compagnie des chemins de fer du Nord-Belge, cousine de l’autre, fut créée. Elle acquit la ligne entre Erquelinnes et Charleroi, puis celle entre Namur-Liège, et elle négocia un accord avec l’Etat pour le passage de ses trains sur l’axe Charleroi-Namur. En peu de temps, le Rhin fut atteint, et la petite ligne aujourd’hui connue sous l’indice 130A devint un maillon parmi d’autres d’une grande ligne internationale exploitée par une société privée.

Il faut donc comprendre que dans sa genèse – à son origine – la ligne avait pour vocation le trafic international, de marchandises mais aussi de voyageurs. A côté des « grands trains » vers l’Allemagne et l’est de l’Europe, la desserte locale des petites gares la jalonnant était très loin de représenter une priorité.

La ligne 130A fut exploitée par le Nord-Belge de 1854 à 1941.

C’est donc pendant la Deuxième Guerre Mondiale que la SNCB, créée en 1926, absorba le Nord-Belge et tous ses avoirs. Lors des deux guerres mondiales, étant donné son intérêt stratégique, la ligne fut le théâtre de nombreux sabotages commis par des résistants contre l’occupant allemand. Après la Libération, la démocratisation du moteur à essence fit que l’automobile, l’autobus et le camion prirent un essor exponentiel. Une part importante du budget de l’état fut désormais réservé à l’infrastructure routière. La SNCB vit ses recettes fondre, alors que ses finances avaient souffert du long effort de reconstruction et de réhabilitation du réseau à la suite du conflit.

[Horaires de circulation sur la ligne 130A en 1950…]

Dès le milieu des années 1950, la SNCB supprima une série de petites lignes considérées comme peu rentables, dont la ligne 109 (Mons-Chimay) qui croisait la ligne 130A à Lobbes (1964)[1]. Au même moment, les industries charbonnières et sidérurgiques, grandes clientes du rail de part et d’autre de la frontière française, poursuivaient leur inexorable déclin.

Considérée comme un axe transfrontalier majeur, la ligne 130A ne fut pas inquiétée. Elle vit même passer, dès 1957, une nouvelle génération de trains internationaux, les Trans Europe Express, dont en particulier le Parsifal (nouveau nom du Paris-Cologne prolongé jusque Dortmund puis Hambourg) et le Paris-Ruhr. Et vers Varsovie, Vilnius et Moscou… La ligne fut électrifiée en janvier 1965.

[1] La ligne 109, dans son segment entre Lobbes et la sucrerie de Donstiennes, avant Beaumont, survécut en tant que ligne marchandises jusqu’au début des années 1990. Plus au nord de la ligne, la cimenterie d’Harmignies resta raccordée au réseau via la gare de Mons jusqu’au milieu des années 2000.

Les années 1970 furent des années sombres pour le rail belge. Le nombre global de voyageurs était en chute libre et la qualité du service offert aux usagers, loin d’être traités comme des clients, laissait fortement à désirer. Horaires illisibles, retards en cascade, trains vieillots et peu confortables… De nombreux raccordements industriels et cours à marchandises fermèrent.

Pour enrayer ce déclin, la SNCB mit en œuvre en 1984 un nouveau plan de transport, le « Plan IC/IR », qui généralisait le cadencement horaire ou bi-horaire des trains voyageurs sur l’ensemble des lignes. Economies obligent, ce plan s’accompagnait de nouvelles fermetures de lignes, de gares et de points d’arrêt. Heureusement, il n’eut virtuellement aucun impact sur la ligne 130A – toujours en raison de son importance internationale.   Mais l’apparition en masse des trains à grande vitesse (TGV) sur le réseau français, suivis des premiers Thalys entre Paris et Bruxelles, annonça des jours difficiles pour les lignes transfrontalières traditionnelles. C’est en 1998 que les derniers grands trains internationaux classiques abandonnèrent la ligne 130A et leur tracé historique vers Cologne. Adieu un certain prestige !

Au début des années 2000, la ligne bénéficia d’un vaste programme de modernisation des ouvrages d’art. Neuf des quinze ponts enjambant la Sambre furent remplacés et le tunnel de Leernes, le seul de la ligne, vit son gabarit élargi afin de permettre à des convois de marchandises plus lourds de l’emprunter. Seulement voilà, quand le plan d’investissement s’acheva, cinq ponts[2] n’avaient pas été remplacés…

[Le 27 janvier 2012, on exécutait les travaux de remplacement du pont n°15 de la ligne 130A, franchissant la Sambre au lieu-dit de la Jambe-de-Bois, entre Marchienne-Zône et Landelies.]

[2] En faisant le compte, vous aurez compris que 9 + 5 faisant 14, il reste un quinzième pont (le pont n°14) qui, lui, avait été remplacé auparavant déjà…

Dès l’amorce de la crise économique, fin 2008, les wagons de marchandises de et vers la France furent moins nombreux. La desserte locale sur la ligne 130A connut deux réductions successives dans l’offre de trains, particulièrement en début et en fin de journée. Depuis le 10 septembre 2012, les automotrices ne franchissent plus la frontière jusque Jeumont. En février 2013, Infrabel faisait comprendre que sans amélioration dans son financement, plusieurs lignes ne feraient plus l’objet d’investissements majeurs avant 2030. Dont la ligne 130A.

En décembre 2013, la SNCB ferma le dernier guichet de la ligne, celui de Lobbes.

En décembre 2014, le nouveau Plan de Transport de la SNCB imposa une réduction conséquente de l’amplitude dans l’offre de trains voyageurs, avec un dernier départ de Charleroi-Sud en semaine à 19h53 déjà. Mais à côté de ça – et nous en sommes là aujourd’hui– les cinq ponts en question, qui datent du début des années 1950, sont dans un tel état que ne pas les remplacer signifierait la fermeture de la ligne pour d’évidentes raisons de sécurité. Si, en mai 2019, Infrabel a procédé au remplacement de deux de ces ponts, il est hélas vite apparu que pour des raisons budgétaires, ils ne le seraient que par des ouvrages à voie unique.

Et donc, depuis fin juin 2019, voici notre ligne 130A, notre petite mais essentielle ligne internationale avec ses trains qui allaient jadis jusqu’à Moscou, mise à voie unique sur près de dix kilomètres. La voici, après plus d’un siècle d’histoire, menacée comme jamais ! Et il nous revient d’essayer de prolonger cette histoire.